Je pense donc je suis      … ou pas !       

 

Si une citation devait être privilégiée pour illustrer le fonctionnement de notre société occidentale, celle de Descatres figurerait probablement dans le top 3 !

Bien que le concept d’intelligences multiples fût introduit il y a de ça presque 40 ans, notre système persiste à valoriser davantage nos acrobaties mentales au détriment de nos autres habilités. Dès 1983, le psychologue Howard Gardner se mit à étudier le sujet et décrit jusqu’à 9 formes d’intelligences : l’intelligence logico-mathématique, linguistique, spatiale, intra-personnelle, interpersonnelle, corporelle-kinesthésique, musicale, naturaliste et existentielle-spirituelle. Ses recherches partirent du constat que les tests d’intelligence, classiquement administrés aux enfants dans les milieux scolaires, mesureraient principalement celles liées au langage et à la logique mathématique. Au fil de son travail, le chercheur questionna la place prédominante que notre société offre à ces deux dernières intelligences et remit les autres en perspective : pourquoi reconnaissons-nous plus certaines formes d’intelligences que d’autres ?

 

Oui à un monde plus juste ! ─tant que je vaux mieux que mon voisin…

En 2015, Ferrarra et Friant ont montré qu’en Belgique, l’enseignement général était associé à des représentations telles que « Fait pour les élèves intelligents » et l’enseignement professionnel comme un « Enseignement qui   rassemble   les   élèves   qui   ne   sont   pas   investis   dans   la   scolarité » ou fait pour des « Élèves limités intellectuellement ». Comment avons-nous pu en arriver à de pareilles hiérarchisations ? Comment avons-nous pu à ce point nous enorgueillir de certaines formes d’intelligences au point que des enfants et adolescent.es se mettent à dévaloriser le reste de leurs capacités pourtant si précieuses ?

Le neurochirurgien n’a-t-il pas autant besoin d’une maison bien bâtie que le maçon d’une opération réussie ? Et le juge, de légumes sains dans son assiette autant que l’agriculteur a besoin d’une défense valable en justice ?

Nous sommes interdépendant.es des intelligences d’autrui. Pourtant certain.es sont plus récompensé.es que d’autres…

Tout comme nos parents, nous avons appris que le sport, la musique, la découverte de la nature ou la méditation relevaient principalement du divertissement, que le plus important était les bonnes notes en math et en langue. Pourquoi ? Parce que, comme le soulignait James Flynn dans sa critique du modèle des intelligences multiples, notre système offre les meilleurs salaires et les plus grandes marques de reconnaissance sociale aux individus ayant pu progresser, notamment, dans les couloirs des institutions académiques. Par conséquent, qui encouragerait son enfant à vivre de ses talents manuels, musicaux ou de son intelligence émotionnelle lorsque dès le départ, nous savons qu’il bénéficiera d’un statut socio-économique plus faible que celui du voisin ? Ainsi, le serpent se mord la queue…

 

Stop ou encore ?

Bien sûr, nous sommes né.es au cœur d’une grande machine dont les valeurs et les objectifs sociétaux étaient déjà profondément ancrés avant notre venue. Nous ne sommes pas responsables du cheminement parcouru par nos prédécesseur.euses mais sommes toutefois responsables de nos actes et pensées le temps de notre passage sur Terre. Chaque jour nous offre l’opportunité de perpétuer les vieux modèles de valeurs que l’on nous a transmis, ou, de poser des actes davantage en résonance avec ce qui fait sens au fond de nous.

Pour cela, nul besoin de tout plaquer pour devenir masseur tantrique ou taxidermiste–quoi que. De petites actions cohérentes et régulières peuvent suffire à changer les choses.

 

Changer le système en changeant soi-même

  • Rappelez-vous des circonstances qui vous mettaient en joie dans l’enfance

Alors que petit.es certain.es prenaient les mathématiques ou les langues comme passion–ah ces insupportables premier.es de classe 😉–, la majorité d’entre-nous s’épanouissait en pratiquant d’autres activités extra-scolaires. Tentez de vous souvenir desquelles, et plus particulièrement, quels aspects de celles-ci vous procuraient de la fierté. Cela pouvait être le fait d’organiser les éléments spatialement, de les manipuler, les classer, de percevoir le détail de vos mouvements, les conséquences de vos actions ou encore, le fait de transmettre le résultat à vos proches. A travers ces activités, quelle(s) intelligence(s) aimiez-vous stimuler ?

  • Si cela n’est déjà fait, sollicitez à nouveau ces différentes intelligences

Reconnectez-vous à des activités vous permettant de travailler vos meilleures habilités. Pratiquez ce pour quoi vous êtes doué.es afin de ne pas les laisser tristement s’éteindre dans un recoin de votre cortex. Faites-en même, pourquoi pas, une passion ! Selon le psychologue Christopher Peterson, réaliser des activités envers lesquelles nous sommes passionné.es fait que la vie vaut la peine d’être vécue. Celles-ci vous permettront de ressentir un panel d’émotions positives pendant et après, prolongeant leurs effets bénéfiques d’une journée à plusieurs mois (Mageau et Vallerand, 2007 ; Vallerand et al., 2003 ; Vallerand, 2003).

  • Soyez-en fièr.e

Nombreuses sont les personnes qui pensent qu’elles seront fières d’elles le jour où les autres reconnaitront leurs compétences, leurs intelligences. Certes, la valorisation sociale contribue à renforcer notre amour-propre mais celle-ci est davantage un bonus qu’une condition sine qua non. Comment la société pourrait-elle reconnaitre en nous ce dont nous ne sommes nous-mêmes pas fièr.es de posséder ? Savoir reconnaitre ses meilleures habilités est le point de départ. De plus, travailler à sa valorisation personnelle est davantage sous notre contrôle que ne l’est la valorisation externe. Ne vous en privez donc pas ! Vous augmenterez la quantité de vos émotions positives et, par ce biais, serez plus à même de reconnaitre les particularités individuelles d’autrui (Aron et al., 1992 ; Johnson & Fredrickson, 2005).

  • Valorisez les autres 

Comme nous l’avons vu ci-dessus, la valorisation sociale est un bonus pour celui ou celle qui en jouit. Pourquoi ne pas le lui offrir ? Nous avons tout à gagner en valorisant équitablement chaque forme d’intelligence, tant envers nous qu’envers les personnes qui nous entourent. En reconnaissant les habilités d’autrui, nous renforçons leur sentiment d’utilité et boostons leur motivation à poursuivre, voire, à se dépasser. D’autre part, nous augmentons notre niveau de bien-être émotionnel découlant directement de l’expression de notre reconnaissance (McCullough et al., 2002 ; Watkins et al., 2003) : du win-win !

En conclusion, toute transformation ne se réalisera pas en renforçant les mêmes comportements. Le changement du système de valeur actuel exige de passer par un changement de valeur individuel. La diversité de nos intelligences est une richesse. Même si la croyance d’une hiérarchisation de celles-ci arrange les personnes qui en récoltent les avantages socio-économiques, il ne tient qu’à chacun.e de changer la donne. Soyez fièr.es de posséder différentes formes d’intelligence, faites-les valoir ! Et à l’occasion, n’oubliez pas de le rappeler à celui ou celle qui l’aurait oublié …

— Virginie Christophe —

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